Secte & cinéma : les illuminés des salles obscures

Secte et cinéma

Chômage en hausse, violences scolaires, corruption politique, déforestation sauvage, guerre au Mali, attentats terroristes, conflit au Haut-Karabagh, meurtres d’enfants, augmentation du SIDA, nouvel album de Zaz, etc. Notre monde va mal, difficile de le nier.

Il n’est guère étonnant de voir les sectes en tous genres prospérer sur cette société anxiogène en proposant de soigner de la maladie de vivre. Privé de repères, souffrant de solitude, subissant la pauvreté ou la violence sociale, l’individu égaré est la cible favorite des gourous pervers qui offrent une grille de lecture simplifiée du monde. Le dogmatisme sectaire ne pouvait qu’intéresser le monde du cinéma : le cloisonnement dans une contre-culture autarcique et la négation de la complexité du monde constituent des thèmes riches pour un art ancré dans la réalité, aussi inconfortable soit-elle.

Manipulation mégalomaniaque

Toute secte est liée à un gourou (ou presque : Landmark Education, par exemple). L’illuminé en chef sait comment appâter les faibles d’esprits. Patrick, le gourou de Martha Marcy May Marlene, a tout du hippie à la cool, travailleur des champs et chanteur folk, il séduit et embobine facilement les jeunes gens ayant fui leurs parents et leur condition sociale à la recherche d’une famille de substitution.

Les gourous désarment leurs victimes car ils ont un pouvoir extraordinaire

La communauté du cinéma fait directement écho à « La Famille », la secte de Charles Manson fondée dans les années 1960 : l’organisation incarne la mère qui réconforte tandis que le gourou représente le père, c’est-à-dire la loi et l’autorité. Foncièrement pervers, le gourou fait de l’adepte un moyen dans le but de renforcer son système totalitaire. L’emprise sur le groupe passe par des rapports de dépendance et de sujétion. Patrick ou Lancaster Dodd procèdent de la même manière : ils désarment leurs victimes, les tiennent par la culpabilité, les caressent et les torturent sans raison. Repérant avec talent les failles et les faiblesses psychologiques de leurs victimes, ils exploitent jusqu’à l’os leurs blessures intimes, leur malaise et leur manque de liens affectifs pour en faire leur jouet manipulable à merci.

Un jouet sexuel notamment. Le gourou a un appétit sexuel à satisfaire, voyez-vous, et le génie de ces braves hommes est de convaincre que le viol est un idéal. C’est qu’ils doivent prendre des forces pour développer leurs pouvoirs extraordinaires faisant passer Chuck Norris pour un tétraplégique autiste : Shoko Asahara passait à travers les murs et méditait six heures sous l’eau, Sri Chinmoy a peint 100 000 tableaux, écrit 750 livres, rédigé 17 000 poèmes et faisait léviter des éléphants, Moon a rencontré Jésus et Ron Hubbard s’est rendu deux fois au paradis.

D’autres pratiquent la manipulation mentale

Du point de vue de l’intoxication mentale, la scientologie, brocardée dans The Master (2013), de Paul Thomas Anderson, respecte parfaitement les codes sectaires. Le film d’Anderson nous conte la prison mentale dans laquelle s’enferme Freddie Quell (Joaquin Phoenix), ancien soldat traumatisé, lorsqu’il fait la connaissance d’un maître scientifico-mystique, Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman), ressemblant à s’y méprendre au véritable gourou de la scientologie, Ron Hubbard. Dodd exploite et manipule à loisir les désirs tourmentés et la pulsion sexuelle de Freddie pour en faire son cobaye.

Son but est la construction scientifique de l’homme nouveau. Hubbard l’affirme sans ambages : « Les hommes ont le droit de créer leur propre espèce », révélant le délire prométhéen résidant dans la certitude contemporaine que l’on peut se construire de soi-même par soi-même. Mais rassurez-vous, à voir la tête de Tom Cruise ou de John Travolta, les scientologues sont loin de ressembler à des surhommes. Le véritable but, quasi-avoué par Hubbard, étant en réalité de se faire un max de blé sur le dos des personnes vulnérables : « Si l’on veut vraiment devenir millionnaire, le meilleur moyen consiste à fonder sa propre religion. » Et à développer un prosélytisme permettant d’engraisser sa communauté.

Repliée sur elle-même, il est très souvent difficile de s’en extraire. Dans la secte, l’individu n’est rien, le groupe est tout. Après avoir échappé aux griffes de Patrick, Martha se réfugie tant bien que mal chez sa sœur et son mari, mais persuadée d’être sous surveillance et recherchée par les membres de la communauté, elle s’enfonce de plus en plus dans la folie et la paranoïa.

De son côté, Freddie rompt les liens avec son père de substitution dans un dialogue où le jeune fils spirituel reprend le contrôle de sa parole (à la différence de la psychanalyse où le patient parle sans discontinuer, ici c’est le gourou qui parle et l’adepte qui écoute inlassablement). Cependant, le propos du film d’Anderson manque un peu d’enjeux malgré une mise en scène virtuose, et le schéma du film de Durkin n’est guère innovant (la confrontation convenue du monde capitaliste ultra normé face à l’asservissement sectaire de jeunes babos). En termes de délires paranoïaques, un certain Roman Polanski se révèle bien plus intéressant.

La Bête va dévorer la Terre

Plongeons un peu plus dans le gouffre sectaire, là où l’horreur côtoie la démence. Maître de l’espace anxiogène, Roman Polanski a su retranscrire la terreur d’appartements maléfiques et de voisinage diabolique. S’il est difficile de parler de secte dans Répulsion (le film traitant surtout de la phobie des hommes et de la psychose de persécution sexuelle chez son héroïne), Le Locataire (1976) explore la piste d’un complot sectaire contre le pauvre Trelkovsky (Polanski lui-même) de la part de ses voisins ayant un comportement des plus étranges. Emménageant dans l’appartement d’une jeune femme s’étant défenestrée sans aucune raison, le nouveau locataire est lentement en proie à des crises de paranoïa et à des hallucinations, au point de suivre les pas mortels de Simone Choule, la défunte locataire.

Le délire semble ourdi par des forces surnaturelles émanant tant de l’appartement que des colocataires de cet inquiétant immeuble. Le comportement du voisinage est semblable à celui d’une secte qui tente de pousser au suicide le jeune Franco-Polonais en le brisant psychologiquement. Celui-ci, d’abord timide et réservé, va se lancer tête baissée dans le piège dont il croit être la cible. La schizophrénie s’empare du personnage jusqu’au dénouement glaçant et tragique. Tout comme dans Répulsion et ses mains gesticulantes sortant des murs, l’appartement est une entité vivante (la dent dans le mur) qui dévore son habitant dans un cycle infernal sans fin.

Dans la même logique de terreur en milieu urbain, c’est à une secte satanique qu’est confrontée Rosemary au cinéma (Mia Farrow) dans Rosemary’s Baby (1968), alors qu’elle vient d’emménager dans un nouvel appartement de New-York avec son mari. Fraîchement enceinte, Rosemary doit faire face à l’envahissante compagnie d’un couple de vieux voisins et à l’absence de son époux, l’amenant progressivement à croire, seule dans son grand appartement, à une machination diabolique les persécutant, elle et son bébé. À la folie psychologique de la mère succède le cauchemar fantastique : à la manière de Prince des ténèbres (1987) de John Carpenter, nous assistons à l’avènement du fils du Diable et Dieu que ça fout les pétoches !

Des réalisateurs, victimes d’une secte, en parlent dans leurs films au cinéma

À noter que Polanski fut touché dans sa chair par la violence sectaire car un an après ce film, sa femme, Sharon Tate, enceinte de huit mois, fut assassinée par des membres de « La Famille » du gourou et tueur en série Charles Manson. De même que David Cronenberg a, dans une moindre mesure, réalisé Chromosome 3 (The Brood, 1979) en réaction au fait que sa femme l’ait quitté pour vivre dans une secte. Le cinéma comme catharsis de ses propres démons, sur le thème de la secte, voilà une des fonctions du 7e art explorée par ces deux réalisateurs de génie qui ont su transcender leurs expériences traumatisantes dans des œuvres aussi puissantes que dérangeantes.

Mais n’exagérons pas les causes et les effets. David Lynch étant un fervent adepte de la Méditation transcendantale (il avait notamment fait la promo d’une collecte d’un milliard de dollars pour créer une « université de la paix mondiale », rien que ça. Une mégalomanie impérialiste qui rejoint celle de la scientologie : « Nous avons une planète à mettre au Clair. Joignez-vous à nous. Nous sommes le seul espoir de l’Homme. »), ses films relèvent davantage du cauchemar de la société du spectacle poussée dans ses retranchements déstructurés les plus surréalistes que de l’enfermement autarcique dans une communauté de malades mentaux (bien que nombre de ces personnages soient de véritables barges, mais c’est une autre histoire).

Abominations profanes

De fait, la terreur sectaire ne tourne pas toujours autour de la gloire du Malin. À l’horreur urbaine succède la frayeur païenne. Preuve en est le récent et terrifiant Kill List (2011) de Ben Wheatley, où la violence païenne de la dernière partie du film n’a rien à envier aux invocations sataniques précédemment citées. Débutant comme un film social à la Ken Loach sur fond de crise économique, l’histoire change de registre et prend rapidement un tournant horrifique avec une montée en violence des plus ahurissantes, d’abord en se transformant en film noir puis en film d’horreur ésotérique (une violence païenne que l’on retrouve, à un moindre niveau, dans Touristes (2012), une comédie noire du même réalisateur).

Palpable tout au long du film, la tension atteint ainsi son point culminant lors d’une virée campagnarde au sein d’une cérémonie macabre qui en marquera plus d’un. Un mélange entre The Wicker Man (1973) de Robin Hardy pour l’épouvante folklorique et Eyes Wide Shut (1999) de Stanley Kubrick pour le rituel dénudé, élitiste et décadent. Finalement, le film laisse le soin à notre imagination torturée d’apporter les réponses à une intrigue volontairement floue et angoissante. Après tout, et contrairement aux sectes, le cinéma autorise la réflexion, la critique et la diversité d’interprétation. À l’instar du Locataire de Polanski, le spectateur est donc libre de tirer ses propres conclusions sur l’éprouvant final de Kill List, quitte à perdre le peu de raison et de nerfs qui lui restent.

Secte au cinéma ou cinéma sectaire ?

Plus à l’Est, ce bon vieux docteur Jones (Harrison Ford) est confronté à une secte adepte de la grillade humaine (comme dans The Wicker Man, la purification maladive passe par le feu) aux tréfonds d’un temple maudit dans le deuxième et le plus sombre volet de ses aventures (Indiana Jones et le temple maudit de Steven Spielberg, 1984). Au sein du palais de Pankot, le célèbre archéologue découvre un temple souterrain où le grand prêtre Mola Ram procède à des sacrifices humains tout en réduisant des enfants en esclavage.

Loin du lavage de cerveau sophistiqué des sectes modernes, c’est la vision exotique et morbide de la secte orientale telle qu’on se l’imagine dans les romans d’aventure qui est proposée ici. C’est d’ailleurs le génie de cette saga d’avoir réussi à recycler des mythes ancestraux (l’Arche d’alliance, la quête du saint Graal) dans des films d’aventure populaires. Cela dit, bien qu’arrachant le cœur palpitant d’un pauvre adepte apeuré, le grand prêtre du temple maudit est moins dangereux qu’un scientologue ou un Témoin de Jéhovah en col blanc.

La secte du cinéma alias le Grand Écran

L’état du monde n’est pas reluisant mais le monde des sectes est triste à mourir même au cinéma: violant l’intimité des individus, les privant du pouvoir de réaliser leurs rêves, supprimant l’imagination et le désir de liberté, ne tolérant ni poésie ni littérature, coupant tout lien social avec le reste de la société. Ennemie de la démocratie et de la Raison, la secte n’accepte que la servitude volontaire totale et exclusive à la vision démente de chefaillons vicieux grimés de ridicules symboles ésotériques en toc (pour rappel, le symbole des Raëliens est une croix gammée mêlée à une étoile de David, et celui des scientologues est une croix chrétienne alliée à une étoile).

Gardons-nous cependant de considérer toute activité un tant soit peu marginale comme sectaire. Auquel cas, certains individus passant le plus clair de leur temps dans des salles obscures, les yeux en larmes ou en sang, parcourus de spasmes d’excitation inexplicables et se prosternant devant l’effigie de Stanley Kubrick pourraient avoir des problèmes…

Secte au cinéma ou cinéma de la secte méfiez-vous des contrefaçons !